Tout semble loin derrière lui. Il n’y a que l’instant présent qui compte. Il est loin de toutes ces histoires et peut profiter pleinement de cette nouvelle vie qui s’ouvre devant lui. La renaissance. Il pense que c’est ce qu’il vit en ce moment. Exit la famille, l’Angleterre et les concours. Moins il en entend parler, mieux il se porte. Burberry Stables, c’est la terre promise, son point de recommencement. Ce matin, il s’est levé une fois de plus avec le sourire, sans se demander où il allait, s’il avait vraiment un avenir dans ce monde. Tout ce qu’il pouvait affirmer, c’est qu’il était réellement heureux maintenant. Un boulot et un cheval, que demander de plus ? Parce que cela faisait bien six mois qu’il vivait avec la peur de voir Palladium Cassis partir avec un autre acquéreur. Il s’était promis de l’acheter, d’en faire sa jument et de l’entraîner. Bien que ses économies fassent grise mine, il put réaliser son désir en plaçant la belle Irish Cob dans les écuries du domaine, en demi-pension.

Ce matin là, après être resté une bonne demi-heure sous les jais chauds de la douche, il se décida d’aller monter sa jument pour la première fois depuis l’acquisition. L’impatience lui nouait l’estomac et il s’en fallut de peu pour qu’il ne prenne pas de petit-déjeuner avant de se rendre au domaine. C’était comme quand il s’était rendu à sa première compétition ; les mains moites et les jambes peu vaillantes.

La mallette de pansage dans la main et le licol nonchalamment balancé sur l’épaule, il parcourait les écuries à la recherche du box occupé par Pal’. Alors qu’il souriait béatement devant les rayons du soleil qui inondaient le sol d’une lumière chaleureuse, son regard fut attiré par une bouille familière. C’était Pal’ qui venait de passer sa tête massive par-dessus la porte de son box. Elle pointa curieusement ses oreilles vers l’homme qui arpentait l’allée. Il avait une tête qui lui disait vaguement quelque chose mais elle préféra retourner brouter, c’était bien plus intéressant. Elle se laissa machinalement passer le licol et sortit à la suite de son propriétaire qui l’attacha à un anneau dehors.

Pendant qu’il la brossait presque amoureusement, elle bailla à s’en décrocher la mâchoire, trouvant visiblement cela bien ennuyeux. Qu’est-ce qu’il lui voulait ce petit gringalet en botte ? Elle s’ébroua et consentis à lui donner chacun de ses pieds pour qu’il les nettoie. Après tout, pourquoi pas, c’est toujours agréable d’avoir les pieds propres. Tout commença à devenir plus palpitant quand il déposa sur son dos un tapis moelleux et une selle en bon cuir. Bon…si c’est pour faire un peu d’exercice, elle ouvrit généreusement la bouche pour qu’Oscar lui passe le mors. Enfin, il la mena à la carrière.

Ce matin-là, alors que le soleil jouait à cache-cache avec quelques nuages, Oscar se rendit au box de Palladium Cassis. Si l'astre du jour peinait à se montrer, le visage du jeune homme rayonnait de motivation et de confiance. En le voyant arriver, ainsi gonflé de bonne humeur, la jument sut qu'elle allait encore devoir supporter ce monsieur. Pitié, qu'il ne s'acharne pas une seconde fois à la faire passer à travers ce rideau étrange. Elle s'ébroua en entendant le loquet grincer et offrit en guise du bonjour une magnifique vue sur son arrière train. Un sourire se dessina sur les lèvres d'Oscar qui se passa une main sur le visage en soupirant. Le licol, comme à son habitude, balancé sur l'épaule, il contourna l'animal et vint poser sa mallette dans un coin. « Moi aussi je suis heureux de te revoir. » Ironisa-t-il en fouillant dans la boîte en plastique pour en ressortir une étrille. Il coinça l'outil dans sa ceinture et, malgré les oreilles de la bai plaquées contre son crâne, lui passa délicatement le licol pour l'amener en dehors du box.

Trainant les sabots, Pal' se laissa faire sans pour autant être très coopérative. « Te fais pas d'bile ma belle... » commença-t-il en faisant des mouvements circulaires et énergiques avec l'étrille pour nettoyer correctement la robe de la jument « ...aujourd'hui, je m'occupe juste de te faire briller. » C'était bien à contre cœur d'ailleurs mais il n'avait pas d'autre choix. Etant arrivé il y a peu de temps, Oscar n'avait pas eu réellement le temps de faire des courses et ses réserves étaient critiques. A vrai dire, en ouvrant son réfrigérateur pour prendre une bouteille de lait et en constatant le vide dramatique sur les étagères, il en conclut que son programme s'imposait de lui même.

En passant le bouchon, il regardait avec le sérieux d'un ministre chaque petite parcelle de la robe, à la recherche d'une éventuelle égratignure ou d'une écharde mesquine qui se serait glissée dans la chair de l'animal. Rien d'inquiétant n'attira son regard, il s'en sentit soulagé et gratifia Pal' d'une longue caresse sur le dos. Cette dernière appréciait que l'on s'occupe d'elle ainsi et qu'on prenne le temps de la chouchouter. Si ce bipède maigrelet restait aussi attentionné avec elle, peut-être daignerait-elle l'accueillir avec plus d'entrain quand il viendrait la voir. Enfin...c'était encore à voir. Le moniteur reprit l'étrille en main et se chargea de démêler cette crinière fournie. Il ouvrit d'ailleurs grand les yeux devant l'épaisseur de crins qu'il tenait entre ses doigts «Je pense qu'un coup de ciseau ne ferait de mal à personne... ». Il dû même s'armer d'un démêlant pour pouvoir venir à bout des sacs de nœuds foisonnant dans cette belle crinière brune. La tâche fut ardue et ne s’avéra pas plus facile quand il entreprit de coiffer sa queue.

Il essuya une goutte de sueur qui lui perlait sur la tempe et constata avec soulagement qu'il en avait fini avec les crins de l'Irish Cob. « Superbe... » murmura-t-il admiratif devant la beauté éclatante de Palladium Cassis. Tous les étalons se traîneront sûrement à ses sabots. Il eut un rictus et secoua la tête devant cette idée puis, le travail n'étant pas encore totalement fini, alla humidifier une éponge pour nettoyer précautionneusement toutes les parties sensibles. Il mit un point final méticuleux à l'entretien en passant une époussette neuve pour faire briller la robe de la jument, presque aussi intensément que le soleil d'une belle journée d'été. « Et voilà ! » S'exclama-t-il en essuyant des mains moites sur son pantalon. Une fois la fière demoiselle rentrée dans son abri, il lui retira son licol et il sortit une friandise de sa poche pour la récompenser de son calme. Après avoir passé un petit instant avec elle, flattant son encolure et lui parlant doucement, il dû impérativement partir, histoire d'avoir de quoi se nourrir pour les prochains jours.

La, c’est la guerre. Elle l’avait cherchée, elle allait le trouver. Le meilleur moment de la journée pour Mademoiselle Palladium Cassis, l’heure du déjeuner mise à part, c’était quand son propriétaire venait la voir. Ils se connaissaient depuis trop peu de temps pour avoir pu tisser un lien entre eux. Elle savait juste qu’il s’entêtait à la faire belle et à la mener d’une main ferme à travers des parcours composés de ponts et autres obstacles dont elle se serait volontiers passée. Si elle tendait des oreilles curieuses quand elle entendait le bruit de ses bottes qui résonnait dans les écuries, c’est parce qu’elle adorait lui en faire voir de toutes les couleurs. Elle ne le détestait pas mais prenait un malin plaisir à tester ses limites. En fait, elle ne se voyait pas en faire de même avec quelqu’un d’autre, Oscar était celui qui s’imposait comme dominant et elle ne se laisserait pas faire comme ça. Loin d’elle l’idée de ruer, de racler dangereusement le sol ou de coller ses oreilles sur le crâne, elle ne s’abaisserait pas à ce comportement de yearling dérangé. Elle préférait rester égale à elle-même, calme, distinguée mais joueuse. Un coup de sa queue panachée dans les yeux par-ci, quelques mordillements par-là et c’est sans oublier de piquer consciencieusement les brosses dans le sac du jeune homme.

Même si une fine bruine recouvrait les alentours, Oscar était décidé à sortir un peu sa jument qui avait une fâcheuse tendance à s’enraciner et s’empâter. C’était un peu de sa faute aussi, il n’avait pas eu réellement le temps de s’occuper d’elle et s’en sentait confus. Ce n’est pas comme ça qu’il allait gagner la confiance et la sympathie de sa majesté Palladium Cassis. En se mordillant pensivement la lèvre, il souleva le loquet du box qui montra un peu de résistance. La porte grinça sur ses gonds, poussant comme une plainte de fatigue extrême. Il s’occupera de la graisser un autre jour, ce n’était pas sa préoccupation première aujourd’hui. En voyant le regard que lui jetait l’imposante jument, l’encolure basse, il sut qu’elle allait encore lui donner du fil à retordre. Il soupira en affichant un faible sourire. Dans sa main tendue, la jument déposa, sans délicatesse aucune, ses gros naseaux duveteux qui reniflèrent bruyamment. « Ohoh, j’ai fait quelque chose de particulier ? C’est la première fois que j’échappe à la vision matinale de ta croupe…y a du progrès. » Lâcha-t-il dans un rictus. De toute manière, même si elle s’amusait à le faire tourner en bourrique, il l’aimait assez pour prendre son mal en patience. Pour aujourd’hui, il fit son entretien à l’intérieur, l’attachant tout de même à un anneau pour éviter qu’elle ne l’ennuie trop.

Il ne savait pas où elle était allée se rouler mais il dû redoubler d’efforts en lui passant l’étrille, de façon à retirer chaque amas de terre séchée qui coagulait ses poils. Pendant ce temps là, et bien trop heureuse qu’on fasse briller sa robe, Pal’ en profitait pour piquer un petit somme. La lèvre pendante, elle apprécia à sa juste valeur la sensation de la brosse douce qui courait sur son corps encore endormie. Oscar, en caressant l’encolure de l’Irish Cob, la félicita d’être aussi sage aujourd’hui. Oh mais attends, ce n’est pas encore finie.

La paix ne dure qu’un temps vous savez. Appréciant peu de se faire déséquilibrer pour se faire nettoyer les sabots, elle chiqua le dos du jeune homme qui la foudroya du regard alors qu’elle agitait vigoureusement sa crinière, l’air de rien. Persuadé qu’elle ne faisait que commencer, Oscar s’appliqua à déloger un caillou en faisant attention aux moindres gestes de l’animal. Discrètement, pendant que son propriétaire entamait le deuxième pied, elle alla s’informer un peu sur le contenu du sac marron qu’il avait laissé ouvert sur le sol. Un chiffon, des brosses et…oh tiens, un morceau de pain ! Voilà qui devient bien plus intéressant. Malheureusement, on lui retira son butin in extremis. Ne sachant plus quoi faire, elle se laissa sagement nettoyer les sabots. Enfin, jusqu’à ce qu’une mouche trop aventureuse lui donne l’idée de fouetter violemment l’air de sa queue et d’éborgner au passage son maître. Il lâcha une avalanche de jurons en plongeant son visage entre ses mains. D’une œillade larmoyante, il regarda sa jument. « Alors toi, tu vas voir c’que tu vas voir… ». Aïe, il n’avait pas l’air de plaisanter.

Elle ouvrit paresseusement la bouche pour qu’Oscar lui passe le mord et grinça des dents pendant qu’il réglait la sous-gorge et la muserolle. Elle le trouvait bien silencieux. Etait-il vexé ? Ce n’était vraiment pas la peine de prendre la mouche pour si peu. Il serra vigoureusement la sangle et sortit l’impérieuse jument de son boxe, l’emmenant d’un pas décidé vers le manège où il lui ferait sérieusement travailler ses allures et sa frousse du rideau.

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